Mont-Blanc à ski, face Nord (74)

Nous voilà partis pour une nouvelle aventure, en direction du plus haut sommet de l’Europe occidentale. Nous avions bloqué, notre équipe de cinq compagnons de cordée, plusieurs dates pour l’ascension du Mont Blanc. Ceci dans l’espoir qu’un des créneaux se présente dans de bonnes conditions.
Le premier weekend ne fut pas fructueux. D’ailleurs, le Refuge des Grands Mulets ne s’était pas ouvert comme prévu à cause des conditions de neige abondante.
Cependant, la météo et la nivologie se présentent favorablement lors de notre seconde chance, mi avril 2024.

Jour 1 – approche jusqu’au Refuge des Grands Mulets

Nous nous retrouvons au départ du parking du tunnel du Mont-Blanc, pour faire l’ascension de ce même Mont-Blanc « depuis Chamonix », ce qui pour moi a une certaine saveur et ajoute une autre dimension au projet, une forme de respect apportée à notre destination.

Quelle joie de retrouver Pierric, Matthieu et Victor, et quel bonheur de réunir l’équipe au grand complet pour cette nouvelle ascension. Il est neuf heures du matin, nous finalisons de charger nos sacs bien lourds car nous démarrons les skis sur le dos pour une marche d’approche de cinq cents mètres de dénivelé, ils passeront très vite. En effet, entre l’excitation et l’envie de la course, associés à nos premières discussions pour partager nos nouvelles respectives, nous arrivons très vite à la première gare intermédiaire de l’ancien téléphérique, très rapidement suivie de l’accès aux premières pentes enneigées.
De là, mes compagnons laissent leurs chaussures sous un arbre, ils avaient pris le soin de monter en baskets pour préserver leurs pieds.

Nous chaussons alors les skis et nous entamons ces premières portions de neige, dans un premier temps bien regelées par la nuit, qui vont nous monter à la seconde gare de l’ancien téléphérique. Le volume de neige est déjà important, mais nous pouvons ressentir qu’il a fait chaud la veille puisque la neige est ici lourdement transformée. Pour ma part, je ne me sens pas très bien depuis que nous sommes sur les skis, vaseux, la tête qui tourne. Je pense que notre petit déjeuner n’a pas été à la hauteur de l’événement.
Nous ferons le pique nique sous la gare de l’ancien téléphérique et mes sensations étranges s’estomperont en même temps.

Nous rejoignons le Glacier des Bossons, puis la zone de la Jonction qui relie ce premier galcier au Glacier de Taconnaz qui découlent tous deux du Mont Blanc de part et d’autres des rochers qui hébergent le Refuge des Grands Mulets.
Pour mettre pied sur ce premier glacier, l’enneigement est vraiment idéal. Seules, trois petites parties doivent être faite en déchaussant les skis, car les cailloux et la terre sont à découvert. Mais pour le reste, il n’est même pas nécessaire de contourner ou naviguer à travers les séracs et autres crevasses. Le chemin est assez direct et vraiment facile à emprunter.

Face à nous, la Jonction, jonction entre le Glacier de Taconnaz et des Bossons.

A cette occasion, nous commençons à croiser les premiers skieurs qui descendent en provenance du Mont-Blanc. En effet, la veille, la météo était déjà radieuse tout comme celle d’aujourd’hui. Nous prenons le temps de leur demander comment s’est passé leur journée et leurs courses respectives. Pour la majorité d’entre eux, si ca n’est l’exclusivité, ils ne sont pas français. Nous y croiserons des anglais, des espagnols, des italiens, et par la suite au refuge des polonais et encore d’autres nationalités, nous sommes assez peu de des Français au final.
Leurs récits semblent tous se rejoindre autour d’un point, l’Arrête du Goûter, qui est maintenant devenu la voie principale, n’est pas en bonne condition. Toute gelée, cela rend la course beaucoup plus délicate et plus exposée aux chutes. Il faut mieux passer par le Petit, puis le Grand Plateau.
De là, la logique serait de récupérer la voie normale en rejoignant le Goûter et l’Arrête des Bosses. Mais à nouveau beaucoup de cordées ont fait demi-tour sur cet itinéraire. Les trois bosses sont également en glace.
Seules quelques cordées ont réussi l’ascension du Mont-Blanc aujourd’hui, en passant par le couloir des Corridors, une alternative de descente que nous avions noté suite à la recommendation du le gardien du refuge.
Finalement un autre groupe d’anglais nous dit également que la descente en face Nord était plutôt bonne, « not challenging » nous dit-il, nous nous méfions, mais c’est un retour intéressant car c’était intention initiale de descente.

Le Refuge des Grands Mulets.

Nous continuons alors notre progression plutôt linéaire et plate pour traverser tout la Jonction et arriver sur les pentes en contrebas du Refuge des Grands Mulets. Nous abordons alors une dernière montée plus raide et encore assez longue. Au final, nous ferons 1780 mètres de dénivelé sur la journée arrivant sous un soleil de plomb, au pied du Refuge des Grands Mulets sur un promontoire de rocher accessible par une main courante, un peu comme une petite ferrata.
Nous laissons les skis en contrebas du Refuge planté dans la neige, comme dans une armoire à skis, au frais. Sophie, qui avait déjà dépensé pas mal d’énergie, finira de dépenser ce qu’il lui reste sur le rocher un peu pourrit et avec une vue un peu vertigineuse en contrebas.

Le Refuge des Grands Mulets

Nous arrivons tous au refuge, plein de joie autour des seize heures.
Le temps de faire sécher notre matériel de prendre nos quartiers dans le dortoir qui nous sera attribué, et nous nous installons pour un apéritif bien mérité. Matthieu avait monté fromage de chèvre qui réveille les papilles ainsi que le saucisson. Nous profitons également de la bière spécialement brassée pour le refuge.
L’heure du dîner, précoce, est à dix-huit heures, ce qui nous convient bien vue l’heure du réveil pour le lendemain et pour récupérer au mieux de nos forces dépensée ce jour sur les 1800 mètres de dénivelé gravis. Nous avons l’occasion de discuter avec le gardien du refuge qui nous permet de confirmer l’itinéraire du lendemain. Nous montrons alors par les Corridors qui est tracé de la veille et en bonnes conditions. Il est très probable que nous descendrons également par cet itinéraire en gardant en tête une petite option sur la Face Nord.

Nous optons pour un réveil autour de trois heures du matin pour un départ du Refuge une heure plus tard. Cela devrait pouvoir nous guider jusqu’au Mont-Blanc sur les coups de douze ou treize heures.

Nous passons une très bonne soirée et nous couchons tôt, autour de dix-neuf, vingt heures. Pour une nuit en refuge, nous avons plutôt un bon sommeil et l’altitude ne se fait pas trop ressentir. J’ai l’impression que la chambre a été silencieuse. Je me suis réveillé plusieurs fois mais je me suis rendormi aussi vite. Imaginer une nuit paisible et d’une seule traite dans ces conditions n’est qu’utopie. Entre l’excitation, la fatigue, le bruit, la chaleur et l’altitude, le sommeil n’est jamais profond. Cependant, je me sens reposé le matin au réveil.

Jour 2 – en route vers le Mont-Blanc

De nous réveillons à trois heures du matin, légèrement avant notre alarme car les autres compagnons du dortoir sont un peu bruyants, mais c’est la vie du refuge.
Nous filons au petit déjeuner. Comme souvent, dans un silence quasi absolu. Nous ne manquons pas de nous abreuver, nous savons qu’il va faire chaud aujourd’hui. Nous continuons à ranger nos affaires, préparer nos sacs, et nous pouvons démarrer la descente par la main courante du Refuge. Cette fois-ci, il fait noir, l’effet de vertige n’existe plus mais le terrain est toujours aussi médiocre.

L’Aiguille du Midi au levé du soleil.

Il est quatre heures et demi, nous voilà skis aux pieds et nous attaquons la montée vers l’objectif ultime. C’est le noir total, pas de lune cette nuit.
Seule une trainée de pointillés des lampes frontales éclaire une partie de la face que nous montons, en nous dirigeant vers le Petit Plateau.

La première partie se fait sur un versant assez raide et la progression en est par conséquence assez efficace. Par ailleurs, nous n’aurons pas trop de distance pour rejoindre le Mont Blanc, les pentes sont assez marquées aujourd’hui.
Nous commençons à nous rapprocher des séracs, la luminosité augmentant peu à peu, cela les rend de plus en plus visibles et impressionnants sur le versant droite de notre ascension.
Les premières lueurs derrière l’Aiguille du Midi sont magnifiques.

Nous atteignons le Petit Plateau. Ici, nous sommes au beau milieu des séracs.
Le paysage est grandiose, unique, lunaire.

Une immensité de glaciers et de blocs de glace nous entoure, avec encore autour de ce paysage, des sommets tous plus plus majeurs les uns que les autres. Nous voyons au loin l’Aiguille Verte, plus proches le Mont Maudit et le Mont Blanc du Tacul. Nous apercevons également le Refuge des Cosmiques et bien sûr l’Aiguille du Midi qui est dans notre dos depuis le départ. C’est à couper le souffle.
La trace est très bonne et la montée se fait sans mal, sur un rythme calme. Mais comme disent les italiens, qui va piano va sano.

Nous continuons notre progression et rejoignons le Grand Plateau. Dès lors, nous voyons très bien la trace qui part sur la gauche pour rejoindre les Corridors. Il faut descendre une vingtaine de mètres pour en arriver au pied.
Nous avons également un très bon visuel, droit devant nous, sur la Face Nord du Mont Blanc.

Il fait maintenant grand jour. Nous ne sommes pas encore au soleil, protégés par la hauteur du Mont Blanc. On arrive d’ailleurs à distinguer la trace de descente du Mont Blanc par la Face Nord et elle semble plutôt bonne. Les alpinistes l’ayant déjà empruntée hier ont choisi naturellement les pentes les moins raides, visiblement sans glace et cela nous permet de garder cet itinéraire comme une option pour la descente.
Cependant, chaque chose en son temps et nous continuons notre ascension en nous orientant vers la montée des Corridors.

Piocher au fond de soi, trouver des ressources pour vaincre la fatigue. L’ascension finale.

Ca y est. Les choses sérieuses commencent. La pente se raidit à nouveau, avec une trace toujours parfaite qui facilite notre progression. Dans cette zone, sous le Col de la Brenva, nous sommes plus exposés au vent, même si nous sommes désormais au soleil. La température ressentie doit être autour des -10°C avec ce vent important.

Nous progressons toujours, jusqu’à rejoindre le Mur de la Côte. Clairement un des crux de cette ascension, par sa raideur et ses conditions de neige, en bonne partie gelée.

La fatigue commence à se faire sentir. Pierric et Sophie marquent un peu le coup, nous avons déjà gravi plus de 1300 mètre de dénivelé et cela fait maintenant une heure que nous sommes au dessus de 4000 mètres d’altitude. Seuil à partir du quel le manque d’oxygène, déjà en diminution au delà des 1000 mètres, se paye assez cher.
Nous décidons de faire notre pause déjeuner au pied de ce mur, qui porte bien son nom, où nous chausserons les crampons et mettrons les skis sur le dos.

Après s’être alimentés et un peu reposés, sans trop trainer car le vent est glacial, nous décidons de continuer l’ascension. Nous nous disons qu’il est très probable que nous feront la bascule et donc la descente par la Face Nord. En effet, la face du Mur de la Côte est à moitié gelée et cela nous assure que la descendre serait compliqué, ou à minima très désagréable. En faisant l’inventaire des forces en présence, nous ouvrons aussi une possibilité sur le fait de renoncer au sommet en basculant directement Face Nord après l’épaule que constitue le haut du Mur de la Côte.

La montée dans une forte pente se fait bien. On prend le temps, mais comme à chaque fois qu’une pente est plus raide, c’est plutôt efficace et l’on efface assez vite les mètres de dénivelé restants.

Puis nous arrivons sur cette épaule, les Rochers Rouges Supérieurs, où nous avons plusieurs possibilités. A droite, la descente directe dans la Face Nord, la délivrance. Tout droit, le sommet du Mont Blanc. C’est encore long, il reste encore 400 mètres à gravir, skis sur le dos, à haute altitude. Si proche et si loin à la fois.
Après concertation, alors que les forces commence à être de plus en plus maigres, que les stocks d’énergie s’épuisent, nous décidons de continuer. Nous sommes un peu en retard sur l’horaire que nous nous étions fixé, mais les conditions sont vraiment bonnes, elles jouent en notre faveur.

Cette dernière portion de 400 mètres sera très longue, nous progressons vraiment très lentement.
Victor et Matthieu qui avaient pris le large devant nous, me font un SMS pour nous prévenir qu’ils nous attendent au sommet.
Ils sont au soleil, à l’abri du vent côté sud du Mont-Blanc.

Nous montons alors, doucement, très doucement, mais nous finissons par rejoindre mètres après mètre, bosse après bosse, virage après virage, le sommet du Mont-Blanc.

Joie ! Ça y est ! Cette fois-ci nous nous y sommes. L’émotion est au rendez-vous.

Nous retrouvons Victor et Matthieu, ainsi que d’autres cordées qui arrivent depuis l’autre côté du Mont-Blanc. Je l’ai déjà dit, mais quelle joie !
Et quel paysage ! Nous voyons loin par ce temps clair, le Cervin, le Mont Rose, les glaciers de la Vanoise, la Meije, la Barre des Ecrins. Tant de beaux sommets qui nous reste à gravir, ils font tous partie de ma liste de courses.

C’est vraiment incroyable, on l’a fait ! 3600 mètres de dénivelé en deux jours, 1800 aujourd’hui à plus de 3000 mètres d’altitude toute la journée. Un vrai dépassement de soi, je suis fier de cette cordée. Sophie est allé au bout d’elle même, je lis l’émotion et l’épuisement sur son visage. Pierric a été incroyable de régularité alors qu’il est clairement sous entrainé, il n’aura fait que très peu de sorties cette année. Pour ma part je me sens bien. A contrario, mon hiver a été assez dense en sorties et donc en entrainement. J’en tire clairement les bénéfices sur cette ascension, sans douleur ni peine.

Nous nous déséquipons de nos crampons et de notre encordement pour descendre légèrement sur le versant Sud. Et c’est vrai qu’il fait très bon sur cette face ! Le vent est complètement absent, il fait chaud, il est très agréable de rester ici. De quoi prendre le temps de manger un bout et retrouver quelques forces.

Retour sur Terre, l’heure de la glisse et de la descente en Face Nord

Il est l’heure d’entamer la descente du Mont-Blanc. Nous ne pouvons pas basculer directement depuis le sommet, la partie Nord du sommet est en glace et nous rebroussons chemin sur l’itinéraire en provenance du Mur de la Côte jusqu’à l’épaule qui domine le mur. Cette première partie est en neige verglacée. Ca n’est vraiment pas agréable, mais pour autant, ça accroche bien. Nous prenons le temps qu’il faut pour descendre ce morceau sans prendre de risque.

Puis nous pouvons finalement basculer dans la Face Nord. Et dès la bascule, nous retrouvons de la neige fraîche ! Les conditions sont vraiment extraordinaires. Nous descendons au milieu des séracs, en diagonale et c’est vraiment grandiose. Tels des immeubles autour de nous, d’un bleu profond.
Pierric se rend compte qu’il a clairement le niveau pour descendre dans ce type de face, si l’on accepte l’idée de ne pas se concentrer sur l’esthétique de sa descente.

Descente Face Nord.

Nous passons une toute petite rimaye et nous arrivons à nouveau sur les Grands Plateaux. D’ici, nous entamons une grande traversée, où les pentes sont douces, pour rejoindre les pentes dominantes du Petit Plateau.

La Face Nord descendue lorsque l’on regarde derrière nous.

Toujours entre les séracs, toujours aussi beau et impressionnant. Il fait bon maintenant, plus de vent et le soleil dans le dos. Nous descendons encore pour rejoindre le Petit Plateau et attaquons une portion plus raide au-dessus du Refuge. A cet endroit, alors que l’inclinaison protège la face du soleil direct, la neige est encore fraîche mais un peu alourdie par la chaleur. Ce n’est pas si facile à skier, et avec l’énergie déjà dépensée, cela rend la tâche un peu plus délicate. Mais ça se fait bien, les conditions sont vraiment correctes vu les températures.

Nous continuons à descendre doucement mais surement et nous commençons à croiser de nouveaux randonneurs qui montent en direction du Mont-Blanc. Certains vont faire un bivouac vers le Goûter, d’autres rejoignent le refuge des Grands Mulets où nous avions dormi.

Il est temps de faire une petite pause hydratation et d’en profiter pour retirer toutes nos couches de textile, il fait vraiment chaud maintenant. Nous pouvons amorcer la longue traversée de la Jonction et du Glacier des Bossons, devant déchausser et porter les skis à trois reprises jusqu’à rejoindre la gare terminale de l’ancien téléphérique.
C’est enfin l’heure pour les derniers virages à ski, dans une neige profonde et lourde (autrement dit pourrie) pour rejoindre les hauteurs de la gare intermédiaire où nous avions laissé les chaussures et où nous retrouvons le chemin pédestre.

Quelle joie ! Nous ne sommes pas encore à la voiture, mais la mission est clairement accomplie. Nous pouvons endosser le sac, pour le coup très lourd avec les skis, les chaussures et le matériel de glacier, afin d’emprunter ce beau sentier jusqu’au parking du tunnel du Mont Blanc. Je n’avais pas souvenir que ce segment de chemin était aussi long à la montée. Ça m’avait paru être assez rapide comme approche, et la descente me paraît durer une éternité. Les cuisses chauffent, nous avons mal aux pieds et nous avons très chaud, ce qui ne nous empêchera pas d’arriver en bas très, très heureux. Mission accomplie !

C’était une sacrée aventure avec une fine équipe. Tout le monde est arrivé au sommet, puisant de profondes énergies pour certains. Pour ma part, c’est ma troisième ascension du Mont-Blanc, par un troisième itinéraire. Je dois avouer qu’il me trotte maintenant dans la tête de finir la liste des voies normales. A savoir, monter la quatrième et dernière voie normale, versant italien par les Aiguilles Grises.
J’ai également lu le topo de l’Innominata côté italien. Topo un peu plus compliqué, qui se rapproche de ce que l’on a pu rencontrer par Bionnassay, un peu plus aérien, avec du rocher et des arêtes. La difficulté réside dans la longueur de la course, mais pour autant sans difficulté notable. Ca n’est pas pour maintenant, gardons le dans un coin de la tête, comme un doux rêve qui continue de nourrir notre imagination et nos envies d’expéditions.